Le grand bahut
Publié le 13 Février 2016
Je débarque à l’internat du lycée technique en septembre, au début des années 80. Je fais un peu ma fière en ce jour de pré-rentrée mais c’est surtout pour camoufler mon angoisse qui grandit à chaque pas de l’interminable allée.
L’immense bahut de 2Km de pourtour est délimité par 4 rues du quartier. Sur trois lignes parallèles se dressent 6 bâtiments pour l’enseignement, 5 pour l’internat et des hectares d’ateliers métalliques. A la périphérie du site le stade et le gymnaste.
Une véritable ville qui accueille 2500 élèves dont 600 internes.
Ma mère est elle aussi un peu perdue et se donne une contenance en suivant consciencieusement les pancartes « ACCUEIL DES INTERNES ».
Au bout de la côte, dans un grand bureau, nous faisons connaissance avec le CPE et ses sbires. La pièce est bruyante, surchauffée et encombrée de bardas. Nous prenons patiemment la queue en prêtant l’oreille aux infos qui nous parviennent du devant de la scène.
Une fille se retourne et me passe le message suivant: le CPE s’appelle GLLOQ*. J’enregistre bêtement ce renseignement sans me rendre compte de la plaisanterie.
*J’ai deux ailes au cul (GLLOQ).
Les assistants de M Glloq, nous remettent donc : la carte de sortie (très importante), un plan des lieux (indispensable) et moult papiers et règlements. Mon dortoir est dans le bat 3, 4ème étage, lit 406.
Mais la particularité de l’année est qu’il n’y a plus des places dans les deux bâtiments réservées filles. On nous a donc casé, nous les petites secondes, au dernier étage d’un bâtiment de terminales garçons. Chercher l’erreur !
Il n’y a normalement aucune communication possible entre l’internat des filles et celui des garçons, les bâtiments étant séparés par toutes une rangée de réfectoires. Mais là avec cette nouvelle donnée, c’est une autre histoire.
C’est le lendemain soir après la rentrée des premières et terminales que nous prenons la portée de cette cohabitation peu ordinaire. En fermant nos rideaux, un spectacle inattendu s’affiche aux fenêtres d’en face : un alignement de postérieurs dénudés.
Tout le dortoir se met à glousser et notre pionne surnommée Trois pommes se montre très choquée et nous intime l’ordre d’aller nous coucher.
Bin dis donc ça va me changer du petit pensionnat des bonnes sœurs où j’étais l’an passé !
En ce qui concerne notre dortoir, tout un système d’horaires a été institué pour que nous évitions de croiser les garçons dans les escaliers. En fait, cette organisation n’a jamais vraiment fonctionnée et les pauvres surveillants ont eu bien du mal tout au long de l’année à contrôler les hormones en ébullition de notre mixité.
Les garçons s’amusent beaucoup de nous savoir logées au-dessus de leurs chambrées. Ils nous en font voir de toutes les couleurs, en coupant l’alimentation générale d’eau lorsque nous sommes sous la douche, en nous en en fermant à clé, en nouant nos lacets de baskets, en planquant nos affaires…
Une année de joyeux fouillis !
6H45, une sonnerie stridente me sort brusquement de mes rêves.
Trois pommes s’agite et nous dit de nous dépêcher. Vite se lever, s’habiller, faire son lit, se rendre au réfectoire, prendre son petit déjeuner, récupérer ses affaires dans son casier et à la sonnerie de l’externat de 7H5O regagner notre salle de cours.
Plan en mains, nous sommes complétement perdus dans ce labyrinthe scolaire où toutes les cours, tous les bâtiments, tous les couloirs se ressemblent…
10H20 : Sonnerie de la récré, ça déboule dans les escaliers. Les groupes se forment dans les cours sombres, genre cloitres bétonnés. Partout, des petits cercles d’adolescents agglutinés fument comme des pompiers en échangent sur les emplois du temps et les profs de l’année.
Notre petite bande d’internes est déjà soudée. Nous ne nous quitterons plus pendant trois années.
A l’heure du déjeuner, il faut à nouveau traverser le lycée, on peut dire qu’un une journée on en fait de la marche à pieds.
Trois services s’échelonnent de 11H30 à 13H00. Les élèves doivent ranger leurs sacs dans des casiers à l’entrée des salles à mangers. Je comprendrais un peu trop tard, qu’en fait je n’aurais jamais dû me séparer du mien. Je me suis fait voler ma toute nouvelle calculette scientifique et ma trousse que j’avais décorée de scoubidous torsadés.
Je vous passe l’engueulade du samedi lorsque je suis rentrée à la maison.
Le bahut, c’est aussi l’école de la vie…
Après déjeuner, suivant les saisons, on s’affale sur les pelouses, on va boire un pot à notre bistrot attitré ou l’on dispute des matchs inter classes arborant nos sweet-shirts au logo de notre section.
A la moindre heure de permanence, nous sortons du lycée et c’est un vent de liberté juste pour se rendre au Mammouth, au tabac ou au café. Il en faut peu pour réjouir nos jeunes années.
Le mercredi c’est la transhumance vers le centre-ville. A pieds, en bus, les internes recherchent de l’animation en se rendant au ciné, dans le parc ou les magasins.
On traine dans les boutiques pour acheter un gloss, un papier à lettres romantique ou une bouteille de psitt.
C’est également le jour des coups de fil, aux parents, aux petits copains. On s’enferme dans la cabine téléphonique vitrée qu’on alimente de pièces de 2 ou 5 francs suivant la distance.
Et puis, il faut rentrer, on s’embrasse une dernière fois sur les bancs publics, on chahute dans le bus et l’on regagne nos quartiers.
Avant diner, les plus studieux vont à l’étude facultative mais nous avec la bande, nous investissons le couloir du foyer. Assis le long du mur, nous jouons au jeu de vérité et échangeons sans fin sur le monde et nos projets.
L’étude du soir est obligatoire. Chez les sœurs, on entendait une mouche volée et sœur Christine faisait les gros yeux si une règle avait le malheur de tomber. Ici c’est le bordel complet. Un brouhaha perpétuel que les pions ne savent pas maitriser.
21H30, il est temps de monter au dortoir, Trois pommes saisit son gros trousseau de clés, distribue quelques remarques aux plus agitées et quatre à quatre nous gravissons les marches jusqu’à notre 4ème étage.
Il nous reste trois quart d’heure pour nous doucher et flâner un peu avant l’extinction des feux.
Nos cours se terminent le samedi en fin de matinée. A peine la sonnerie amorcée, les internes se précipitent vers la sortie avec leurs gros sacs à porter.
Juste le temps d’attraper la navette qui nous dépose à la gare et de retrouver toute une partie du Lycée dans un train qui nous conduit dans nos foyers.
C’était le bon temps du lycée !