Colonie de Bellerive-sur-Allier à la Couarde sur mer, juillet 1973.
Nous sommes enfin arrivés après toutes ces longues heures de voyage et la traversée en bac !
Nous sautons des cars, heureux d’enfoncer nos pieds dans le sable de l’immense cour carrée. Il fait encore chaud en cette fin d'après-midi et l’on nous dirige à l’ombre de la galerie bordée de pins pignons. Les moniteurs s’affairent pour nous distribuer un goûter de pâtes de fruits et du sirop de grenadine. Après ce long voyage, ça fait du bien.
Raymond le directeur, nous repartit, ensuite dans nos groupes : les petits de 6/8 ans, les moyens de 9/11 ans (mon groupe), les moyens-grands de 11/12 ans et les grands de 13/14 ans.
Je rejoins sept autres petites-filles, autour de notre monitrice Babeth, une rouquine au sourire accroché aux lèvres. Elle nous conduit vers les valises qui gisent à côté des soutes ouvertes des autocars.
Peu après, chacune traîne son barda, jusqu’au bâtiment de droite, celui des filles. Nous sommes saisies par la fraîcheur et la pénombre en pénétrant dans les chambres aux rideaux tirés. Notre box est situé au milieu du dortoir, ses murs sont immaculés et tranchent avec les dessus de lits aux rayures colorées. Nous nous précipitons pour choisir nos places, toutes persuadées d’avoir obtenu la meilleure.
Babeth nous demande de sortir nos affaires et de les étaler sur le lit ; elle va passer pour l’inventaire. Elle s’occupe de nous à tour de rôle et pendant ce temps-là, les autres partent à la découverte du dortoir. D’abord timidement puis avec de grands rires, nous arpentons le long couloir. Tout au bout, nous croisons les grandes filles qui gloussent de se retrouver alors que de l’autre côté, quelques petites pleurent leur maman.
À l’extrémité du dortoir, il y a des barres de lavabos, les WC et une salle pour se déchausser.
Le sol est recouvert d’un carrelage et les portes vitrées donnent sur la galerie couverte qui nous a accueilli tout à l’heure. Par les fenêtres, nous apercevons les garçons devant un bâtiment identique au nôtre, ils ont revêtu des shorts et jouent au football. La chance !
Babeth, on peut aller jouer dehors ? L’après-midi se termine par un jeu de chandelle en cercle au milieu de la cour. Il court, il court le furet...
Le lendemain et chaque matin, le réveil est échelonné, chacune se lève à l’heure qui lui convient, ouvre son lit, fait sa toilette et enfile son short et ses baskets.
Au réfectoire un solide petit déjeuner nous attend : pain frais, beurre et confiture, compote, chocolat et café au lait, de quoi prendre des forces pour la journée.
À 9 h 30, nous avons toutes pris le petit-déjeuner. Il est l'heure de retourner au dortoir pour faire nos lits, ranger nos chambres puis nous rejoignons les garçons.
La matinée est consacrée aux activités manuelles : pompons, objets en pinces à linge, colliers de perles, tableaux de fil tendus, portes serviettes en raphia, nos moniteurs ne manquent pas d'imagination.
Et nous chantons sans cesse, accompagnés de Gérard à la guitare.
« Au loin, on voit tourner la mouette autour d’un point noir sur du bleu, nul ne sait qu’elle guette son amoureux » ou « Tiens bon la barre et tiens bon le vent, Hisse et ho, Santiano «. C'est beau !
Avant midi, nous nous rendons aux marabouts, il faut se mouiller le visage et les bras puis s’allonger sur des lits de camp ou à même le sol pour une « cure de sommeil ». C’est un moment de retour au calme qu’on appelle aujourd’hui relaxation. Je sens encore l’eau qui s’évapore de ma peau sous la tente réchauffée par le soleil de la mi-journée et j’entends la voix lente du moniteur qui nous demande de nous détendre et de fermer les yeux.
À 12 h 30, bien apaisés, nous passons aux lavabos pour nous laver les mains puis nous gagnons le réfectoire. C'est une grande salle claire où des petits murets séparent des tables de six. Nous sommes assis sur des bancs et avons la responsabilité de servir nos camarades à tour de rôle tandis que d’autres vont chercher le pain ou remplir les brocs d’eau. Nous sommes fiers de ces petites tâches qui nous autonomisent.
La monitrice nous demande de tout goûter avant de dire que l’on n’aime pas. Elle nous apprend également quelques astuces de colo comme manger sa compote dans son verre ou sa part de gâteau sur l’envers de l’assiette. Ça limite la vaisselle !
Le jour des frites, il y a toujours du rab et nous faisons "mailloche". Autant vous dire que je n’ai pas trouvé, la définition de ce mot dans le dictionnaire. Il veut dire que toute la table se précipite sur le plat (au grand dam des moniteurs). Raymond sort alors son sifflet et plus personne ne bronche.
En fin de repas, l’on débarrasse les assiettes et les verres pour faciliter le travail des personnes de service.
Après avoir mangé, c’est l’heure tant attendue du courrier. Je reçois une carte pratiquement chaque jour, de mes parents, grands-parents ou tantes. De belles images que j’affiche au-dessus de mon lit.
L’une ou l’autre des fillettes reçoit parfois un colis rempli de bonbons, de petits jouets et de journaux illustrés. Le partage est la règle, car certaines copines ne reçoivent rien.
On se regroupe ensuite à l’ombre des galeries pour lire son courrier, faire des jeux de mains ou de ficelles et ramasser des pommes de pin dont nous mangeons les amandes. "Trois p'tits chats, Trois p'tits chats, Trois p'tits chats, chats, chats".
À 14 h, nous rentrons au dortoir pour la sieste. C’est un temps où chacune doit s’occuper en silence sur son lit. Les plus petites dorment pour de bon alors que les grandes lisent, écrivent, fabriquent des scoubidous ou des colliers de perles.
Youpi, la sieste est terminée. Nous enfilons les maillots de bain, les chapeaux et nous préparons la trousse de secours, le périmètre, la caisse de pain et les bidons de sirop pour le goûter. En route pour la mer.
Nous traversons la colo, ouvrons le portail donnant dans le petit bois Henri IV. Nous empruntons alors un petit chemin aux odeurs de résine qui nous mène à la plage des Prises. Pieds-nus, nous grimpons la dune bordée d'herbes touffues et de fleurs violettes. Et soudain, l'océan est là, haut, bleu, magnifique, bruyant. Il reflue mousseux et odorant sur le sable clair. Une odeur inconnue nous remplit les poumons, ça sent la mer !
Pour beaucoup d'enfants, c'est une découverte et les cris de joie couvrent bientôt le bruit des vagues et du vent marin.
D'autres groupes sont déjà assis sur le sable, les enfants jouent patiemment pendant que deux moniteurs installent le périmètre.
Puis vient notre tour de baignade, oh ce n’est pas bien long, une demie-heure heure environ pour permettre à tous les groupes d’en profiter. Qu'à cela ne tienne, ça vaut le coup de sauter par-dessus les vagues, de s'éclabousser, de tenter de nager dans cette eau qui n'arrête pas de bouger. Bouha, j'ai bu la tasse, que c'est salé !
Après le bain, nous nous séchons puis entortillés dans notre serviette de bain nous enfilons une culotte sèche sans que personne n'entrevoit notre derrière.
Puis vient le temps des jeux de plage. Nous ramassons des coquillages, creusons de puits, enterrons les pieds de nos copains, jouons aux osselets avec des cailloux. Que de bons moments !
17 h 30, il est l’heure de gravir la dune dans l'autre sens et de regagner la colo. Nous nous rendons directement aux douches puis à la lingerie où chacun récupère son linge soigneusement rangé dans sa case.
Après dîner, nous traversons la cour jusqu'aux bâtiments en bois, ce sont des salles d'activités qui le soir, nous accueillent pour la veillée. Nous faisons des petits jeux calmes, nous chantons ou l'on nous lit de contes. Pour la première fois de ma vie, je fais connaissance avec les lettres de mon moulin et de ce curé de Cucugnan qui nous fait tant rire.
Deux fois par semaine, nous partons en randonnée avec le KW autour de la taille et le chapeau vissé sur la tête. Ce sont de longues marches d’une demie ou d’une journée entière. Nous nous rendons au phare des baleines (11,2 Km), St Martin en Ré (8,5 km), Ars en Ré (7 Km), Loix (5 km)…À la colo, on marche sans cesse et nous chantons pour nous donner du courage, un kilomètre à pied ça use, ça use…
A midi le directeur nous apporte les caisses d’œufs durs, de tomates, les fruits, le pain d’épice et les incontournables jerricanes de sirop de menthe ou de grenadine.
D'autres matinées sont plus calmes, ce sont des jours de correspondances, de nettoyage des chaussures ou de ramassage des papiers de la cour. La colo nous apprend le civisme et le vivre-ensemble.
Chaque samedi soir, il y a une Grande veillée préparée par un groupe d’âge. Un spectacle de chants, de danses, de sketches auquel toute la colo assiste. Rires et applaudissements réjouissent les colons.
Les dimanches sont des journées de fête. Après le spectacle de la veille, la grasse matinée est autorisée puis nous rejoignons nos moniteurs qui tiennent chacun un atelier. Individuellement, nous choisissons notre animation ou mono préféré : construction de cabanes dans le petit-bois attenant, activités manuelles, chants, contes, jeux, cuisine…
Le repas du midi est, ce jour-là, amélioré et l’après-midi est consacrée à un grand jeu, une kermesse, un jeu de piste ou une chasse au trésor avec un goûter de crêpes, de glaces et des bonbons à gagner.
Le 14 juillet est aussi un jour de fête, nous nous déguisons, fabriquons des drapeaux et le soir venu, nous nous rendons sur la plage pour voir le coucher de soleil puis le feu d’artifice.
Les soirées sont aussi ponctuées des anniversaires du mois dont le mien. Je souffle cette année-là, mes neuf bougies, entourée de mes amies ; elles m’ont fabriqué un petit cadeau de coquillages et de pommes de pin avec l’aide attentif de Babeth.
Quatre semaines passent vite, nous nous sommes bien amusés, mais il est temps de passer à la pesée et sous la toise. Il est de bon ton d'avoir grossi et grandi pendant ce mois et ceci est inscrit sur notre fiche sanitaire.
Le dernier jour, nous allons à la Couarde acheter les souvenirs. Je prends un petit chalutier sur un socle avec l'inscription "Ile de Ré".
L'après-midi, il faut refaire l’inventaire, remplir les valises et nous faisons les folles en sautant sur les lits.
Au petit matin du dernier jour, nous plions nos draps, bouclons nos valises et embrassons bien fort nos camarades et nos moniteurs. Il y a des larmes, des joues mouillées de tristesse de se séparer et des promesses de revenir l'année prochaine.
Nous repartons toutes dorées, les genoux couronnés et la tête bourdonnante de refrains entrainants et d'amitiés d'été.
Au revoir l’Ile de Ré, nous allons retrouver nos parents.