nouvelles

Publié le 18 Septembre 2023

Je reviendrai - Nouvelle

Le froid lui cingla le visage lorsqu’il franchit la grille du camp. Emmitouflé dans sa capote, son calot enfoncé sur la tête, une grosse écharpe nouée autour du cou, il avançait lentement au rythme du commando. Les lumières blafardes des projecteurs clignotaient à intervalles réguliers et guidaient ses pas vers la gare. La grosse horloge indiquait 6 h quand il s’engouffra dans le train en direction d’une banlieue éloignée de Berlin. Il partait, déjà fatigué, pour douze heures de transport et de travail dans une usine du IIIe Reich.

Le soir venu, indifférent au brouhaha de sa chambrée, Joseph grimpa en haut de son châlit et s’allongea pour reprendre des forces. Toute sa vie était concentrée dans cet espace étroit. À la tête du lit, une étagère touchait presque le plafond. Il y avait rangé son quart et sa gamelle, quelques conserves, deux ou trois livres. A sa droite, il avait accroché aux murs les photos de Rolande, sa petite femme depuis le mois de janvier 1938. Qu’elle était belle avec ses boucles claires, souriante et heureuse dans sa robe toute simple. Il regardait sans cesse son image. Il regardait sans cesse sa vie d’avant. Après trois années de captivité, il avait tellement peur d’oublier les traits de sa bien-aimée.

Il décrocha sa photo préférée, celle où sa femme à vélo, un turban sur la tête lui souriait avec amour. Elle partait quelque part, sans doute dans l’une des fermes où elle devait se placer depuis le début de la guerre. Mais lui imaginait qu’elle partait le rejoindre. Les bras derrière la tête, la photo sur le cœur, il pouvait se laisser aller à lui écrire la longue missive qui ne figurerait jamais sur les quelques lignes du papier à lettres réglementaire.    

« Ma petite femme chérie, je viens d’avoir 28 ans, ma jeunesse m’échappe. Qu’en ai-je fait ? » Où sont nos 18 mois de mariage, notre maison et nos projets ? Je rêve du jour où nous serons de nouveau réunis. Mais quand ? »

Une fois de plus, Joseph se torturait de questions sans réponses, se raccrochant à un espoir qui chaque jour était ébranlé. 

« Dimanche dernier, en me promenant au bord d’un canal gelé près du camp, je me suis transporté en pensée au bord de notre rivière. Te souviens-tu des promenades d’été ? Tes sandales à la main, tu aimais tremper tes pieds dans l’eau fraîche. Moi, je choisissais des petits galets plats, car inévitablement, tu me demandais de faire des ricochets. C’est vrai que j’étais fort à ce petit jeu-là. Et puis assis sur un rocher, tendrement enlacés, nous regardions le soleil se coucher. Qu’il est beau notre village, j’en revois tous les détails maintenant que j’en suis éloigné. En haut de la colline, le point de vue est magnifique, les prés se déroulent en camaïeu de verts jusqu’à la rivière et les agnelets bêlent pour appeler leur mère. L’église romane domine le paysage, il fait si bon s’y reposer pendant les chaleurs estivales. »

« Jo, il nous manque un quatrième pour la belote, t’en est ? » À regret, Joseph abandonna son dialogue muet et descendit prestement du lit superposé. Il savait bien qu’il ne pouvait s’isoler trop longtemps, qu’il fallait rester dans la réalité de sa vie de prisonnier.

Belote, rebelote et dix de der. Jouer, rire, partager leur faisaient du bien à ces soldats si loin de leur patrie. Puis il faisait popote avec deux autres copains. Les gars mettaient en commun les denrées reçues de France. Ici, l’on ouvrait une terrine de lapin, là, on dégustait un bon poulet. Rolande venait d’envoyer des croquets, sa spécialité. Joseph en porta un à ses narines, il sentait bon les œufs et le beurre de pays, il sentait bon les mains de sa ménagère. Rolande avait relevé ses cheveux et noué, son tablier, une petite suée perlait sur son front tandis qu’elle pétrissait la pâte sur la table de la cuisine. C’était bien plus qu’un biscuit, c’était sa femme et sa campagne qui le rejoignaient dans son stalag.  

À la fin du mois de décembre, le quotidien des prisonniers s’allégea un tant soit peu, ils obtinrent quelques jours de repos. Le 20 au matin, Joseph s’octroya une petite grasse matinée. Il se leva juste à temps pour le jus de 8 h puis en sortant du réfectoire longea les barbelés au pas de course, histoire de rester en forme. Lorsqu’il regagna ses quartiers, la baraque bruissait d’excitation. Un prisonnier venait de placarder une affiche les invitant au grand spectacle du 24 au soir intitulé « Nos régions ».

Le jour de Noël dans l’après-midi, une fois de plus allongé dans son alcôve. Joseph reprit sa lettre secrète.

« Ma petite chérie, je reviens te parler et te souhaiter un bon Noël. Le mien ne fut pas désagréable. Hier, au soir, nous avons eu un dîner de « gala ». Un potage velouté aux vermicelles, du saumon en conserve cuisiné avec des petits légumes, des fromages et des friandises envoyées par vous tous. La Croix-Rouge nous a envoyé des confitures et du vrai café. Et ce mois-ci, le colis Pétain était sacrément bien garni avec une tablette de chocolat.

À 20 h, nous étions tous attendus au réfectoire transformé pour l’occasion en salle de spectacle. Une estrade avait été installée dans le fond de la salle et bientôt, la pièce fut comble et bruyante. De grands draps tendus sur un fil nous cachaient la scène. Comme au théâtre, on frappa trois coups, ce qui fit immédiatement taire tout le monde. Nous avions hâte de voyager dans notre beau pays avec les tableaux préparés par nos camarades.

Lorsque le rideau fut tiré, nous vîmes se dérouler une immense carte de France. Les acteurs présentèrent tour à tour des chants, des danses, des poèmes, des extraits de livres, des costumes de toute la France. Le clou du spectacle fut le french cancan, qu’ils étaient drôles nos copains déguisés avec leur robe à frou-frou. Mais tu aurais vu les décors, un moulin rouge et une tour Eiffel plus vrais que nature, que de talents dans notre camp ! Les applaudissements et les rappels n’en finissaient pas. Mais quand même, nous étions bien émus de nous être transportés l’espace d’une soirée par les routes de chez nous.

À 23 h, l’aumônier monta sur scène sous les applaudissements renouvelés. Il venait nous rappeler que la soirée se poursuivait avec la messe de minuit. La plupart des gars sont restés. Une équipe a vite remis la scène en ordre et a dressé l’autel. Le curé a sorti une grande croix qu’il a posée sur une nappe immaculée. Le silence est immédiatement revenu. Ce fut une belle cérémonie, personne ne s’est fait prier pour entonner les anges dans nos campagnes et il est né le divin enfant. Nous nous sommes couchés et levés tard et je passe maintenant mon après-midi avec toi ma Rolande. Je te serre contre moi et t’envoie tous mes baisers. »

Joseph se leva vers 17 h 00, sorti une feuille de papier à lettre, tailla sa mine de crayon et s’installa devant la table en bois pour écrire pour de bon.

Chère petite femme, j’ai reçu le colis du 15, le beurre était bien conservé, les croquets toujours aussi délicieux. Merci de tes vœux de bon anniversaire et de bon Noël. Ici, nous avons eu un repas amélioré et un beau spectacle sur nos régions. J’aurais besoin de chaussettes et d’une paire de sabots. J’espère que vous êtes tous en bonne santé comme je le suis moi-même. Je te serre tout contre moi, petite chérie. Bons baisers. Embrasse toute la famille. Ton chéri. Joseph

NB : Ce texte a été présenté pour le concours 2023 de La Nouvelle Gorge Sand (Thème retour aux sources). Il n'a pas été retenu parmi les 454 nouvelles envoyées. L'essentiel est le plaisir pris dans les recherches généalogiques, l'écriture et le partage. 

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Publié dans #Autrefois, #Nouvelles, #Souffrance, #Tranches de vie, #Guerre

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Publié le 5 Mars 2023

La soupe aux alphabets

Bonjour ma cocotte dit ma grand-mère en me serrant dans ses bras. Toute ronde dans son tablier bleu, elle sent la crème Nivea, la lavande et le sucré. Des odeurs de mémé qui donnent envie de la croquer. Dans sa maison toute propre perchée en haut d’un escalier, il n’y a pas de soucis, pas de corvées, juste des sourires et de tendres baisers. Mon cœur bat de bonheur, les vacances viennent juste de commencer. Tandis que je range mon petit sac dans ma chambrette, mémé s’affaire du fourneau au buffet.

Je pointe le bout de mon nez pour deviner ce qu’il y aura au déjeuner. Les effluves qui s’échappent de la cocotte rouge me donnent un indice. J’en suis sûr, elle est en train de cuisiner du veau à la tomate avec un riz blanc bien fondant, mon plat préféré ! Pépé arrive du jardin, portant sous son bras une cagette remplie de radis croquants et une grosse salade bien pommée. Comme c'est amusant de secouer le panier métallique par la fenêtre ouverte. Les radis sont joliment taillés en forme de fleurs puis disposés dans un ravier. Ils seront dégustés en entrée à la croque au sel, accompagnés de tartines beurrées. Pour le dessert, j’ai repéré la mousse au chocolat dans le réfrigérateur. Je n’ai pas pu résister, j’ai plongé mon petit doigt dans le saladier.

Ma chatte, tu veux bien mettre le couvert demande la voix douce de ma grand-mère. Très fière de cette responsabilité, j’installe trois assiettes de faïence dépareillées et des verres à moutarde aux motifs de Babar et Titi-Gros Minet. À midi tapant, sous les yeux enveloppants de mes grands-parents, je me régale du repas spécialement préparé à mon intention. 

Après manger, je m’allonge sur le canapé pour dévorer un livre jeunesse d’un autre temps. Dadou gosse de Paris raconte l’histoire d’un pauvre gamin des faubourgs qui rencontre un petit garçon riche, leurs vies vont être bouleversées… La vaisselle expédiée, mémé vient me rejoindre et s’installe dans son fauteuil avec des mots croisés tandis que pépé gribouille des chiffres sur un cahier d’écolier. Le salon est calme, tout en contraste avec la sonnette incessante du commerce familial. Ici, le temps s’écoule léger, rempli d’amour et d’insouciance.

Une heure plus tard, mon grand-père range ses papiers et demande, tu veux faire un nain jaune ma chérie ? Et je délaisse avec joie ma lecture pour le jeu de société proposé.     

En fin d’après-midi, lorsque la chaleur a décliné, nous descendons au jardin. Pépé sort le jet pour arroser ses plates-bandes et moi, un petit seau à la main, je cueille les framboises bien mûres.

Ne mange pas tout, ma poulette, il n’en restera plus pour la confiture gronde ma grand-mère tout en riant de mon minois barbouillé. La récolte terminée, elle sort le gros chaudron de cuivre et mélange les fruits juteux, le sucre et le gélifiant. Il flotte dans la maison une odeur suave de fête foraine qui me fait me pourlécher les babines. Sur le dessus de la bassine, une jolie mousse se forme, mémé l’écume précautionneusement et me la fait goûter encore toute chaude. Que c’est bon ! 

 Le soir venu, nous dînons d’une soupe aux alphabets, d’un œuf mouillette et d’un biscuit de Savoie fourré avec l’écume de la confiture. Mais il faut se dépêcher, car ce sont bientôt les jeux de 20 h avec maître Capello, il ne faut absolument pas les louper. Puis l’on éteint la télé et je réclame les photos. Mémé grimpe sur une chaise et retire du dessus de l’armoire, la grande boite en velours remplie de souvenirs. Inlassablement, elle me commente les images fanées. Ce sont de tout petits clichés de quand elle était petite et aussi pépé, maman, tata… Il y a même quelques images encore plus anciennes, Mélanie mon arrière-grand-mère avec une robe longue, Isidore son époux tient la bride du cheval et à leur pied mémé petite fille berce une poupée. Puis elle me montre « la guerre », un vieux laissez-passer, une carte de rationnement, une photo de la ligne de démarcation. Elle ne tarit pas d’anecdotes sur cette période sombre, l’exode, les restrictions et la naissance de ma mère pendant une alerte. J’écoute bouche bée, jamais rassasiée.

Il est tard ma chatte dit soudain mon grand-père en jetant un coup d’œil à la pendule. Il m’envoie me mettre en pyjama pendant qu’il tire une bassine pour le rituel du bain de pied. Le lit tout frais garni de gros draps de lin a été préparé, je m’y glisse avec plaisir après cette journée si bien remplie. Pépé me borde bien serrée puis avec mémé, ils se penchent pour les câlins du coucher et les paroles apaisantes de bonne nuit. La lumière s’éteint et la porte reste entrebâillée laissant filtrer une faible lueur. Dans la chambre d’à côté, j’entends les voix étouffées de mes grands-parents qui se couchent à leur tour. Il fait noir maintenant, mais je n’ai pas peur, je suis en sécurité. Je plonge doucement dans le sommeil heureux de mon enfance choyée.  

 

Sur le même thème : Déjà dans l'escalier

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Publié le 22 Juillet 2017

C'était la photo parfaite

La brasserie était en pleine effervescence en ce dimanche d’été. Pénélope y pénétra joyeusement entourée de tous les siens. Le serveur les conduisit à l’étage sous la voûte de mosaïques en lapis-lazuli. Elle adorait ce cadre art déco et cette ambiance décontractée-chic où elle se sentait à l’aise.
Nicolas tira galamment la chaise de son épouse et la gratifia d’un si madame veut bien se donner la peine qui fit sourire les convives.
Le repas démarra sur le ton de la bonne humeur et elle se dit qu’il était agréable de temps à autre d’être mise à l’honneur.
Les plats se succèdent délicieux et raffinés, Nicolas prenait son rôle très au sérieux en remplissant les verres et en faisant résonner la salle de son rire inimitable.
En face d’eux, leurs filles magnifiques dans leurs petites robes colorées conversaient avec leurs cousins. La famille parla de tout et de rien et puis le père de Pénélope entama le couplet politique. La mère de la jeune femme lui fit instantanément les gros yeux et lui se renfrogna en disant que si ça n’intéressait personne, il n’avait plus qu’à se taire. La table gloussa de cette scène familière.
Garçon lança-t-il, pour se donner une contenance!
Pénélope, lui souffla que ça ne se faisait plus d’interpeller ainsi le serveur.
Comment veux-tu que je l’appelle répondit le vieil homme pas loin de bouder à nouveau?
Pour éviter un drame, son frère enchaîna sur quelques anecdotes. Elle prit un air faussement offusqué d’être à son tour sur la sellette mais en réalité, elle aimait entendre les histoires de sa naïveté.
Après déjeuner, ils entreprirent une partie de pétanque sous les platanes du parc. Nicolas s’apprêtait à pointer lorsqu’un couple de Japonais en villégiature dans la ville d’eaux les regarda curieux. Ils avaient l’air de se demander ce que faisaient ces femmes en talons et ces hommes en cravates avec des balles métalliques à la main. Nicolas s’appliqua à ne pas rater la boule. Un grand OH salua le carreau et lui se rengorgea de cette gloire éphémère.
La fin d’après-midi fut douce, on remonta tranquillement la galerie Napoléon en devisant gaiement. Pénélope était belle dans sa jupe en tweed rose, entourée de ses filles on aurait dit trois sœurs
Sa tante signala qu’elle ressemblait à Jacky Kennedy et ajouta sans rire que Nicolas était plutôt Giscard avec son crâne dégarni. Et lui qui n’en loupait pas une entonna un tonitruant bonsoi madam, bonsoir madmoisel, bonsoi messieur et fit claquer son index dans sa joue.
Le groupe se reforma pour charrier la tata, et toi tu serais la reine d’Angleterre lui dit un petit-cousin taquin.
Ils arrivèrent au pied de l’escalier majestueux de l’opéra tout blanc et posèrent sur les marches. Nicolas passa un bras protecteur autour de la taille de sa femme. Chacun pris place à leurs côtés, les grands derrière comme il se doit. Quelqu’un appuya alors sur le retardateur puis courut se placer dans un coin.
Les quarante ans bonheur de Pénélope s’imprimèrent à jamais sur cette photo parfaite.

 

Texte écrit dans le cadre du concours littéraire e-crire aufeminin 2016

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Publié le 12 Décembre 2016

Le miracle de Noël à la résidence Forward (Conte de Noël)

Cinq ans que Chelsea allait où la poussait ses missions d’intérim, incapable de rester plus de quelques semaines à la même place.

En ce mois de décembre, elle revenait travailler à la résidence Forward et comme chaque année elle se dit qu’ici, il y avait quelque chose de différent.

C’était peut-être cet esprit de Noël qui flottait dans l’air, c’était peut-être la proximité
de son village d’enfance, c’était peut-être la joie de revoir Mme Smith ? 

Onze mois durant, elle pensait souvent à Mme Smith avec la peur d’apprendre qu’elle était décédée.

Chelsea s’était instantanément attachée à cette résidente lorsque leurs regards s’étaient croisés pour la première fois.

Elle se revit sortant du secrétariat alors que la vieille dame en franchissait le seuil accroché au bras de sa fille Elle la revit toute menue dans son manteau trop grand, une petite valise à ses pieds, immobile, indifférente à l’agitation. Elle se revit dans sa blouse blanche toute neuve, son livret d’accueil dans les mains.

Chelsea sourit et la dame la regarda avec un regard de détresse qu’elle n’oublierait jamais.

Elles se retrouvèrent peu après dans une petite chambre vide. Mme Smith pleurait doucement, prostrée dans un fauteuil, elle n’avait pas voulu quitter son manteau. D’une voix suraiguë, elle appelait « Jenna » à intervalles réguliers. Sa valise était échouée sur le lit et sa fille était repartie. 

Chelsea s’agenouilla aux pieds de la nonagénaire et lui parla à voix basse. Mme Smith releva la tête et leurs yeux s’accrochèrent pour la deuxième fois.

N’ayez pas peur, je suis là lui dit-elle, vous êtes à la résidence pour personnes âgées, je vais vous aider à retirer votre manteau, vous devez avoir chaud ?

Apaisée par la voix calme, Mme Smith accepta de se dévêtir et d’ouvrir sa valise. Sur les vêtements pliés, Chelsea vit un cadre soigneusement enveloppé dans du papier de soie. Sur l’image en noir et blanc il y avait une famille des années cinquante, le père, la mère et deux fillettes. Tous les quatre portaient des chemisettes blanches et des canotiers. Ils étaient appuyés sur un muret en bord de mer. Au bas de la photo, il y avait une inscription Biarritz, France, 1949.

 Chelsea tendit le cadre à Mme Smith et elle la vit esquisser un sourire. Un doigt frêle souligna lentement chacun des personnages tandis qu’une petite voix énonçait : là c’est moi et mon mari et celle-là, c’est Jenna et là, voici Abby.

Mme Smith s’habitua assez rapidement malgré sa maladie d’Alzheimer qui progressait à grands pas. Bientôt elle ne put plus parler et un jour elle ne reconnut plus ses filles. Le couloir devint son nouveau domaine qu’elle arpentait du matin jusqu’au soir en serrant tout contre elle un sac à main en vieux cuir.

D’une année sur l’autre Chelsea retrouvait sa préférée, elle avait repris du poids et semblait sereine à Forward. Sa chambre était maintenant remplie de bibelots, de souvenirs, de photos.  

Mais ce 1er décembre 2016, Chelsea ne la vit pas dans son couloir bleu. Son cœur s’emballât, où était Mme Smith ? Elle suivait les avis d’obsèques, elle l’aurait su quand même si elle était morte !

Chelsea se renseigna et on lui de dit que Mme Smith était tombée tête première dans l’escalier et que si elle ne s’était rien cassée, elle n’avait plus jamais plus remarché depuis deux mois. Chelsea descendit au grand salon et elle eut du mal à se frayer un chemin entre les décorations qui encombraient le sol. Avidement, elle la cherchât des yeux et la vit soudain recroquevillée dans un coin. Elle vit son visage triste, ses yeux plissés, sa bouche contractée et ses rides qui se perdaient dans ses cheveux d’argent. Elle vit sa robe redevenue trop lâche qui recouvrait son corps amaigri. Comme une naufragée accrochée à un radeau, elle était agrippée à un ours en peluche. On aurait dit que toute sa vie avait migré aux bouts de ses doigts et que c’est pour ça qu’elle ne lâchait plus cet ourson qui la rattachait à la terre.

Le lendemain matin, Chelsea voulut aider pour la toilette et on lui répondit qu’on n’avait pas besoin d’elle. Elle referma la porte et elle ne sait pas pourquoi, elle resta là. C’est alors qu’elle l’entendit geindre de l’autre côté de la cloison. Chelsea comprit qu’on avait découvert Mme Smith et que le froid l’incommodait. Chelsea entrebâilla la porte au moment où le pauvre corps gourd de la résidente roula sur le côté et que la préposée aux soins lui posa les mains sur le métal glacé de la barre de sécurité. Mme Smith hoquetait presque imperceptiblement et son corps était si raide qu’on aurait dit une planche noueuse. Lorsqu’on la mit assise et qu’on voulut la lever, elle battit des bras pour chasser les mains qui la contenaient avec peine.  On lui fit plier les genoux dans un fauteuil que l’on roula ensuite en dehors de la chambre.

Les deux préposées virent alors Chelsea et lui demandèrent ce qu’elle faisait là.

Je l’ai entendu pleurer répondit simplement la jeune femme et elle demanda ensuite pourquoi les méthodes de soins bien traitantes n’étaient plus utilisées.

 Ses collègues haussèrent les épaules en rétorquant qu’on avait plus le temps.

Les jours suivants, Chelsea se débrouilla pour être affectée au couloir bleu et mit en œuvre toutes ses compétences pour parvenir à capter à nouveau les yeux gris de Mme Smith.

 Elle s’assit à ses côtés, prit le temps de lui parler, de la toucher avec précaution, de ne pas la découvrir complètement. Elle lui détailla tous les gestes qu’elle effectuait et ne cessa de lui dire des mots tendres pour qu’elle n’ait pas peur. Elle recouvrit la barre froide d’une couverture pour ce transfert si délicat nécessaire pour nettoyer le dos et les fesses. Puis elle la prit dans ses bras et la remercia de l’avoir si bien aidé dans ses soins matinaux.  

Peu après, assises toutes les deux au bord du lit, elles dialoguaient des regards quand soudain un bredouillage joyeux raisonna dans l’alcôve. Des mots mystérieux ne cessaient de sortir de la bouche fripée, elle semblait conter une histoire infinie. Chelsea répondait gaiement aux intonations de la vieille dame, ces deux-là conversaient et semblaient si heureuses de s’être retrouvées.

Quand elle la sentit prête, Chelsea la mit debout à l’aide d’une seconde soignante. Soutenue sous les bras, Mme Smith mit un pied devant l’autre et se mit à marcher à petits pas timides puis peu à peu assurés.

Arrivée à bon port, elle parlait encore, un sourire nouveau accroché à ses lèvres. Chelsea fut si émue qu’elle laissa couler une larme de joie dans le giron de son ainée. Cette dernière posa alors ses lèvres sur la joue duveteuse de la jeune soignante et y déposa un délicat baiser.

 

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Publié le 15 Février 2016

La découverte de l'oncle Henry

Henry était décédé un an plus tôt dans un accident de voiture, encastré dans un poteau téléphonique. L’enquête avait conclu à une perte de contrôle du véhicule mal entretenu. 

Albertine son épouse survivante,  ne se sentait plus chez elle dans cette ville de province étriquée qui ne l’avait jamais adoptée.

Après quarante-cinq ans d’absence, sans regrets, elle avait décidé de rentrer à Paris. 

En ce jour de janvier, le plus dur restait à faire: emballer, trier, donner, jeter ses souvenirs et son passé.

Réunis autour du café matinal entourant une Albertine frêle et voutée, nul ne parlait et l’ambiance glaciale du petit salon vert commençait à peser. Seul  le cliquetis des tasses en porcelaine et les sanglots de ma tante fendaient par intermittence le silence oppressant. 

D'interminables minutes plus tard, Fabrice le fils ainé, se racla la gorge et d'une voix ferme nous attribua  nos tâches pour débarrasser la maison.

Je sursautai sous les injonctions de mon cousin mais je constatai que chacun se mettait déjà en mouvement.

Je fis  équipe avec Jean-Luc et nous eûmes pour mission de vider la remise du fond du jardin. 

Peu après  munis de cartons et de sacs poubelles, nous empruntions l'allée étroite et mal pavée qui mène au cabanon.

Que de galopades entre les fils à linge ! Tout en cheminant, nous évoquions ce temps révolu de notre enfance en songeant à celui qui n'était plus.

L’abri de jardin recélait un bric à brac hétéroclite : outils, arrosoirs en zinc, tondeuse à gazon, cantines métalliques, vieux journaux, jouets cassés, caisses remplies de petit bois...

Sous la lucarne se tenait un bureau d'écolier et une vieille chaise roulante d'ordinateur déglinguée. Dans un coin du bureau, il y avait des petits cahiers d'écolier, rouges, bleus, verts, jaunes… soigneusement empilés.

Je m'emparai prestement des cahiers qui plus que tout autre chose attirèraient ma curiosité.

Machinalement je me mis à les compter,  il y en avait dix, tous datés et annotés de l'écriture en pattes de mouches de l'oncle Henry.

A la première page du premier cahier,  daté  du 1er février 2004, un mois après le début de sa retraite, il avait écrit : "Débuts de mes expériences sur les énergies alternatives"

A la dernière page du dernier cahier daté du 01 mars 2014, la veille de sa mort, il avait écrit : "Toutes les autorités et les grandes entreprises françaises ont refusé mon projet pourtant viable. Je ne comprends pas. Je vais donc m’adresser à l’étranger"

 Entre ces deux dates, 10 ans de recherche, de gribouillis, de croquis, d'expériences et de photos rassemblés dans ces cahiers multicolores aux couvertures cornées et aux pages tachées.

J'interrogeais mon cousin qui semblait aussi médusé que moi-même.

"Vous étiez au courant des travaux de ton père?

- Absolument pas" me rétorqua Jean-Luc

- Fais voir  me dit-il en s'emparant des cahiers »

L'oncle Henry était un petit commerçant. Toute sa vie, il avait tenu le magasin de chaussures familial ne semblant intéressé que des collections de mocassins ou d’étagères d'espadrilles. 

« N'oublie pas, me dit Jean-Luc, que papa était presque ingénieur. » 

Nul n'avait oublié  dans la famille qu'il avait dû abandonner brusquement de brillantes études scientifiques pour succéder à son père dans l'échoppe de galoches.

Je ne cessais de relire cette dernière phrase énigmatique écrite la veille de l'accident de mon oncle.

"Toutes les autorités et les grandes entreprises françaises ont refusé mon projet pourtant viable. Je ne comprends pas. Je vais donc m’adresser à l’étranger."

 

La découverte de l'oncle Henry

L'oncle était donc devenu un ingénieur anonyme au fond de son jardin et après dix années de labeur avait réussi à inventer ce carburant innovant ?

Mon cœur battait fort, mon cerveau élaborait un scénario de complot, de sabotage de sa vieille 4 L. On l'avait éliminé pour que son invention ne soit jamais commercialisée!

Je fis part de mes pensées à mon cousin qui se mit à rigoler gentiment.

"Mais bien sûr, papa travaillait pour les services secrets et on a saboté sa vieille bagnole »

Je fis une petite moue vexée et finit par rire aussi de l'énormité de mes extrapolations.

"Bon, c'est important quand même, au diable le vide grenier, il y a plus urgent."

Et je plantais là mon cousin pour rejoindre ma tante  sous la véranda.

"C'est quoi ça tata?, lui demandais je excitée en lui tendant mon butin.

- Ah, tu as trouvé les élucubrations de ton oncle,  répondit-elle avec une ébauche de sourire

- Tu sais tantine, ça m'a l'air plutôt sérieux  c’ truc-là

- Pff, sérieux? Henry jouait depuis dix ans au Géo Trouvetou. A la fin, si tu veux savoir, ça lui tournait même un peu la tête à ton pauvre oncle

- Me donnes-tu malgré tout l'autorisation de faire expertiser ses cahiers?

- Bah, si ça t'amuse ma chérie, prends les, répondit Albertine  replongeant dans son mutisme.»

Le lendemain, je pris contact avec le CNRS et j'expliquais en quelques mots ma découverte extraordinaire.

J'entendis mon interlocuteur tapoter sur son ordinateur.

« Ah oui Henry  B, nous avons bien reçu son dossier mais il y a déjà plus de deux années. Votre oncle a dû recevoir un courrier mentionnant que nous ne donnions pas suite.

Projet trop farfelu...âge avancé du candidat...pas de financement pour les essais...pas de priorités dans ce domaine...s’embrouilla le type au téléphone. »

J'appelais ensuite divers centres de recherches, des compagnies pétrolières  et des grands groupes de l’industrie chimique.

Je compris vite que mon oncle avait effectué le même parcours avec à chaque fois une fin de non-recevoir.

Fallait-il abandonner?  Mon intuition me disait que non.

Quelques recherches sur internet m'orientèrent sur trois centres hors de nos frontières, deux en Europe et l'un au Mexique.

La numérisation des données me prit quelques semaines. Entre temps, j'avais pu présenter les travaux à un professeur de physique de mes amis et à un ingénieur d'EDF. Tous les deux s'étaient montrés intéressés puis passionnés par les données des cahiers.

Je joignis leurs observations aux dossiers et expédiai le tout soulagée du devoir accompli. 

Ma vie repris ordinaire, un peu fade après l'agitation des dernières semaines.

Tante Albertine  était désormais installée dans un petit studio près des Buttes Chaumont et je la tenais au courant de mes démarches.

A chaque fois, je la voyais sourire incrédule.

La découverte de l'oncle Henry

Pourtant un beau jour, une grosse enveloppe kraft à l'en tête FNRB* dépassait de ma boite aux lettres.

*Fédération nationale de recherches belge

Madame,

Après une étude approfondie des travaux de M Henry B et une série d'essais en laboratoire, nous avons le plaisir de vous informer que le carburant non polluant est viable. 

Nous vous prions de prendre rendez-vous avec nous dans les plus brefs délais pour toutes les démarches administratives de mise sur le marché.

Nous vous conseillons vivement de vous faire assister d'un avocat  spécialisé.

Veuillez-vous munir des papiers notariés de succession et des extraits de casier judiciaire des héritiers.

Dans l'attente de vos nouvelles, nous vous prions...

 

Huit jours plus tard, Jean-Luc, Fabrice et moi montions dans le Thalys  en partance pour Bruxelles.

 Munis d'une lourde sacoche remplie des documents demandés, nous étions tout excités de ce qu’on allait nous annoncer. 

La découverte de l'oncle Henry

Lorsque le taxi nous déposa devant l’immense building  en verre ultra moderne du FNRB, mon cœur s’emballa.

Toute petite entre mes deux gaillards de cousins, je me demandais ce que nous faisions ici. 

Maitre Delatre, l’avocat spécialisé nous rejoignit peu après et sa prestance me redonna un peu de courage.

Nous fûmes reçus dans une salle de réunion par une dizaine de personnes en costume et tailleur sombre. 

Je me sentis à nouveau toute intimidée  dans ma robe bon marché et mes petites ballerines plates.

Le professeur Lasaruss détendit de suite l’atmosphère et nous gratifia d’un grand sourire en nous tendant une main sympathique.

Il nous installa à ses côtés et nous présenta  ses collaborateurs.

Un jeune homme aux cheveux gominés, nous fit ensuite une présentation des travaux de mon oncle.

Je fis beaucoup d’efforts  pour comprendre la teneur de l’exposé rempli de formules mathématiques incompréhensibles.       

Je rougis pourtant de joie à deux ou trois reprises  lorsqu’au fil des diapositives, je reconnus quelques croquis issus des petits cahiers familiers.

« En conclusion, entonna  Lassarus me faisant sursauter. J’ai  l’honneur  de vous annoncer que les travaux de M Henry B ont donné naissance au carburant révolutionnaire du 21e siècle.

Un carburant de faible coût de fabrication, non polluant et compatible avec les véhicules en circulation.

Votre père était un génie ajouta le scientifique en s’adressant à mes cousins.

Je suis sincèrement admiratif  de cet immense travail, poursuivit l’ingénieur.

Le nom scientifique de ce carburant est le  GHTO 34.

Madame, Messieurs,   vous êtes ici aujourd’hui pour prendre connaissance de la démarche de mise sur le marché,  des modalités de rachat du brevet et des indemnités versées aux héritiers.

Vous serez également consultés pour le nom grand-public.

Je vous laisse étudier toutes les modalités avec Maitre Delatre et nous nous retrouverons pour signer. »

Mes cousins bouche bée, ne savaient plus quoi rétorquer. 

Au bout de quelques secondes, Jean- Luc sorti de sa stupeur pour remercier et broyer à son tour les mains du professeur devenu hilare.

« Il était fort papa, murmura-t-il peu après à son frère ainé encore médusé.»   

Je restais un peu en retrait, les laissant savourer ce moment qu’ils n’étaient pas près d’oublier.  J’étais si fière moi aussi de mon oncle et si contente d’avoir cru en sa découverte. 

CHAMPAGNE, s’écria soudain  le professeur Lassaruss!

Et c’est ainsi qu’à titre posthume Henry B devint un imminent chercheur européen.

Dans quelques temps lorsqu’à la pompe vous remplirez votre réservoir de ce nouveau carburant  au nom exotique, pensez  donc à l’oncle Henry ! 

 

La découverte de l'oncle Henry

Cette histoire a été développée à partir d'une idée trouvée sur internet

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Rédigé par Véronique

Publié dans #Nouvelles

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Publié le 21 Janvier 2016

Le grenier de mémé

Ce matin, j’ai entendu papa dire que la maison était vendue et qu’il  fallait la débarrasser et la nettoyer au plus vite.

 Maman et tata sont toutes tristes. Depuis que mémé est entrée à la maison de retraite, je les vois souvent pleurer ou se disputer.

Il parait que mémé a un peu perdu sa tête mais qu’il ne faut pas le dire, c’est secret !

 

Moi, je suis tout excitée de retourner dans la grande maison que j’aime tant. Nous allons y retrouver la famille et tout déménager. On va bien s’amuser avec mon frère et ma cousine.

La grande bâtisse n’a pas bougé, elle est tout aussi charmante que dans mon souvenir avec son lierre tout rouge et son banc de pierre.

Elle ressemble au vieux manoir de mon livre d’histoires.

Que d’aventures extraordinaires ai-je vécu dans les allées étroites ou sous le gros noisetier !

 

Véro, rend toi utile me dit ma mère me faisant sursauter.

Et tout à coup chacun s’active pour remplir des cartons, jeter des vieux papiers et compter des assiettes ébréchées.

J’entraine Olivier et Isabelle dans une course effrénée au milieu de la salle à manger.  Coiffée du vieux chapeau de pépé, je tourne autour de la table encombrée ; à  mes trousses mon petit frère qui brandit un chausse pieds à long manche tandis que ma cousine Isabelle chevauche un manche à balai.

 

Ça suffit les gosses ! clame mon père en colère Montez jouer au grenier.  

C’est ainsi que peu après, nous nous retrouvons dans l’escalier  raide, aux marches inégales et branlantes.

Le grenier de mémé

De là-haut, les bruits de la maison nous parviennent étouffés et c’est à pas de loup que nous  pénétrons dans le noir et la poussière.

Le grenier est une  succession de salles au parquet brut et aux poutres massives.

Il fait tellement sombre que s’en est effrayant, nous avons perdu tout entrain.

Ça sent l’antimite là-dedans et dans un coin gît un squelette de souris beurk !    

C’est la première fois que nous y venons sans mémé et aucun de nous trois n’en mène large.

Isabelle pousse un cri, ses longs cheveux bouclés viennent de  se prendre dans une toile d’araignée.

Je repère le bouton de porcelaine et lorsque la lumière jaillit, les lieux  reprennent un air plus familier.

 

Dans la grande pièce centrale il y a des fils à linge,  une grande armoire en chêne, des caisses en bois, des meubles cassés, des outils de jardin et tout un bric-à-brac oublié.

Y’en a des antiquités ricane Isabelle, toute fière de ce mot savant.

 

J’ouvre précautionneusement une caisse  tandis qu’Isabelle, toute peur effacée,  virevolte autour d’une vieille  coiffeuse au marbre fêlé.

Olivier vient de dénicher  des craies.

Je le rejoins d’un bond souple et lui arrache sa trouvaille pour tracer au sol une grande marelle avec le ciel, la terre et l’enfer.

Et nous voilà à cloche pied  sautant dans les cases géantes et faisant un boucan du diable qui nous vaut une nouvelle semonce.  

 

Je me précipite ensuite vers une nouvelle caisse que j’ouvre plus vivement. Elle est remplie de livres. Je farfouille un moment et je retrouve  tous les ouvrages de la comtesse de Ségur que j’aime lire et puis La case de l’oncle Tom, Tom Sawyer, Le tour du monde en 80 jours, La petite Fadette…   

La caisse suivante regorge de poupées et de leur trousseau. Il y a les vieilles poupées à tête de porcelaine de mémé et le baigneur au polo rayé rouge et blanc qui s’appelle Christophe.  Je le serre très fort contre moi et lui

Le grenier de mémé

murmure quelques secrets avant de l’abandonner pour d’autres découvertes.

Isabelle promène la poupée Natacha dans une petite poussette et lui donne le biberon avec beaucoup de précaution.

Je viens d’ouvrir une autre boite et j’y ai trouvé des billes.

 O L I V I ER,  t’es où ?

 Mon petit frère surgit,  échevelé, de la pièce voisine.

Tu f’sais quoi ?

T’es d’la police ? me répond-il

Il vient de remarquer les billes et s’accroupit pour saisir une belle agate.

Tu fais une partie ? Lui dis-je. 

Bin oui répond-il  mais je prends le gros calot vert.

Dac, je prends le bleu.

Nous nous partageons les billes et entamons une partie de poursuite d’un bout à l’autre du grenier.

Isabelle quant à elle continue de bercer les poupées et vient de les installer dans un petit lit en fer. Fille unique, elle a l’habitude de jouer toute seule et se tient loin de nos chamailleries.

C’est chouette de jouer chez mémé  murmure-t-elle aux poupées.

 

Olivier gagne rapidement toutes mes billes, il est trop bon à ce jeu-là.

Je prends subitement ma moue fâchée, j’joue plus ! lui dis-je en le quittant brusquement.

Olivier hausse les épaules en ramassant son butin.

 

La bouderie est de courte durée, la curiosité nous gagne de nouveau, Nous n’avons pas encore exploré l’armoire. Je tourne la clé et tire la porte qui grince à grand bruit. Sur les étagères des dizaines de boites à chaussures et des cagettes remplies de trésors. Tous les jeux de société ont été remisés ici, le 7 familles, le jeu de l’oie, le damier, le micado, le nain jaune…

 

Olivier tire l’autre porte et trouve son garage et ses voitures, son établi et ma marchande.

Accrochés dans la penderie de vieux habits, des sacs à mains et des chapeaux que mémé gardait pour jouer à se déguiser.

On dirait qu’on serait des princesses et toi un chevalier. Nous nous entortillons dans des rideaux mités, merveilleuses robes de cour qui marque notre rang royal.

Chevalier Olivier, il faut sauver la France ! ordonne Isabelle.

Le grenier de mémé

Tagada, tagada, tagada Olivier parade sur son cheval imaginaire…

 

La nuit est tombée, le lampadaire de la rue projette son halo jaunâtre au travers de la lucarne œil de bœuf. Il va falloir revenir dans le monde des grands.

 

On pourrait descendre dans le garage, chercher les trottinettes. On pourrait tracer des maisons dans la cour et jouer au papa et à la maman ou à Zorro, ou à l’école, ou à Tarzan... Je ne taris plus d’idées pour faire encore durer ce moment.

 

Les enfants, nous allons partir. L’appel de ma mère met fin à nos jeux. Nous descendons l’escalier sans enthousiasme.

En trois heures de temps, la maison est devenue méconnaissable.

Les meubles sont démontés, des piles d’objets s’entassent un peu partout et dans l’air ne flotte plus l’odeur du biscuit de Savoie et de la confiture de framboises.

 

Et soudain je comprends que c’était la dernière fois que je jouais dans la maison de ma grand-mère.

Alors je me mets à pleurer et papa me traite de bébé.

 

C’est un peu de mon enfance qui aujourd’hui s’est envolée. Mais je sais que pour toujours, tout au fond de mon cœur,  je garderai le grenier et les câlins de ma mémé.

 

Fin

Le grenier de mémé

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Rédigé par Véronique

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