Publié le 26 Mai 2022
Publié le 22 Mai 2022
Le dimanche 7 mai 1911, une charrette lourdement chargée s’arrêta devant une petite maison coquette. Marie-Augustine soupira de soulagement et informa Marie-Thérèse qu’ils étaient arrivés. La fillette poussa un cri de joie et, soulevée par son père, sauta gaiement sur le chemin. Puis Jean-Louis déposa avec précaution, son épouse enceinte de huit mois, aux côtés de leur fille.
Jean-Louis venait d’être embauché en tant que contremaître aux mines d’or du Châtelet dans la Creuse. À ce titre, il bénéficiait d’un logement de fonction dans la cité ouvrière. La maison était pimpante avec ses pierres de taille de couleur ocre. Elle était composée d’une grande pièce à vivre, de trois chambres, d’une cour et d’un jardin. Quelques voisins accoururent pour souhaiter la bienvenue aux nouveaux arrivants et pour les aider à décharger leur mobilier.
Marie-Augustine s’affala dans son fauteuil à bascule dès qu’il fut installé dans la cuisine. De son poste stratégique, elle pouvait ainsi diriger tranquillement l’emménagement.
Le lendemain, Jean-Louis se présenta à l’usine pour prendre ses fonctions, tandis que sa jeune femme prenait possession de leur logement, et la fillette du jardin.
Trois semaines plus tard, alors qu’elle attisait la cuisinière, Marie-Augustine ressentit les premières douleurs. Jean-Louis prit le temps de la faire allonger sur leur lit puis partit au pas de course chez la sage-femme qu’on lui avait indiquée. La mère Gaudry arriva pesamment vingt minutes plus tard, suivies de deux acolytes préposées aux accouchements des femmes d’ouvriers. On fit sortir le père et la petite fille, puis la sage-femme effectua son examen et opina du chef d’un air expert. Pendant ce temps-là, les voisines s’activaient dans la cuisine : l’une ralluma le feu, une autre tira une bassine d’eau et prépara des serviettes. Peu avant midi, ce 28 mai 1911, un petit André poussa son premier cri.
Les Fallut se trouvaient bien au Châtelet, le salaire de Jean-Louis était confortable. À la cité, le loyer était modéré, le jardin, les poules et les lapins élevés par Marie-Augustine suffisaient à leur alimentation. Marie-Augustine s’entendait à merveille avec ses plus proches voisines, elles se rendaient service, allaient ensemble laver à la rivière. Le soir venu, les familles veillaient chez les uns ou chez les autres. Marie-Thérèse étudiait à l’école nouvellement construite pour les enfants de mineurs, tandis qu’André était devenu un garçonnet poupin. Le samedi, la famille délaissait le baquet de zinc pour se rendre au bâtiment de douches situé au bout de la rue, le luxe ! Le dimanche, Jean-Louis jouait dans l’équipe de football de la mine puis en fin d’après-midi, l’on dansait entraîné par le son des violons des Italiens.
Trois années s’écoulèrent paisibles, rythmées par les saisons, les jeux des enfants, les petites joies et le labeur. L’année 1914, Jean-Louis obtint une promotion, sa femme pourrait bientôt s’acheter cette machine à coudre Singer qu’elle avait repérée dans le catalogue de Manufrance. En juin, à l’usine, le directeur qui recevait le journal avait informé ses contremaîtres de l’assassinat de l’archiduc François Joseph d’Autriche. Il parait que ça ne sentait pas bon et qu’on risquait d’avoir la guerre. Les ouvriers de la mine n’en firent rien, la plupart ne comprenaient pas bien le rapport. Aussi furent-ils abasourdis lorsque le 1er août dans l’après-midi, ils virent le directeur affolé aller de droite et de gauche, une dépêche à la main. C’était la mobilisation générale ! Aux villages de Budelière et du Chambon, le tocsin n’arrêtait pas de sonner pour avertir la population. En quelques heures, la mine se vida de ses hommes. Jean-Louis empoigna un baluchon, embrassa femme et enfants et rejoignit la longue colonne qui s’ébranlait vers la gare de Budelière. Il devait rejoindre le 121e régiment d’infanterie de Montluçon.
Le 2 août 1914, la caserne grouillait d’activité et d’une sorte d’euphorie. Un à un, les hommes se transformaient en soldats en enfilant leur habillement militaire et en recevant leur paquetage. Dans l’attente d’embarquer pour le front, Jean-Louis s’isola dans un coin de la grande cour et écrivit à son épouse : « Ma Chère Femme, ne porte pas peine pour moi, je suis très bien. Nous partons dans une huitaine de jours, mais nous ne risquons absolument rien.
Aie bien soin de mes petits et embrasse-les bien. Je t’embrasse bien fort. Jean-Louis ».
Le 7 août, les soldats traversèrent Montluçon au pas cadencé, la population massée sur les trottoirs et aux fenêtres leur fit une ovation jusqu’à la gare. Sur le quai, des jeunes filles leur remirent des petits bouquets de fleurs qu’ils s’empressèrent d’accrocher à leur fusil. Le 8, le régiment arriva près d’Epinal dans les Vosges. Puis les soldats marchèrent pendant quatre jours à travers les bois de sapins et les bruyères, presque une promenade de santé songea Jean-Louis pour se donner du courage. Le 12, ils entendirent gronder le canon pour la première fois puis traversèrent Badonviller en flammes. Les fusillades crépitaient non loin et ils prirent soudain conscience que le front était tout proche. Le 14, le commandement les informa que le combat était imminent. Croulant sous leur barda, les pieds endoloris, la tête bourdonnante, ils traversaient à présent des villages ravagés. Ils croisaient des habitants hébétés et avançaient dégoulinants, dans les blés trop murs et la chaleur insupportable. En milieu d’après-midi, la troupe arriva au village de Petitmont vidé de ses habitants. Les éclaireurs informèrent le commandement que les Allemands étaient postés dans les bois au nord du village. Le sergent Fallut encouragea ses hommes, il fallait être braves, car on allait bientôt se battre.
La nuit tombait à peine lorsque l’ordre fut donné d’attaquer. « En avant ! hurla un officier. » Les bataillons s’élancèrent vers l’ennemi en criant un grand « hourra !». La baïonnette au fusil, entraîné par la troupe, Jean-Louis courut au travers d’épaisses fumées. Les mitrailleuses allemandes fauchaient les jeunes combattants. Les obus explosaient et creusaient de grands cratères sanguinolents. Les camarades de Jean-Louis tombaient comme des mouches, les corps retombaient déchiquetés à ses côtés. Il comprit qu’il n’échapperait pas la mort et qu’il allait s’éteindre là dans cette terre inconnue. Il continua malgré tout à foncer. Ses dernières pensées s’envolèrent vers Marie-Augustine, Marie-Thérèse et André quand il fut brutalement soulevé et se dispersa dans le sol vosgien.
À la mine devenue muette, les femmes erraient dans l’attente du facteur. La première lettre de Jean-Louis avait un peu rassuré Marie-Augustine. Puis les semaines s’ajoutèrent aux semaines et la jeune femme ne recevait pas d’autres nouvelles. Fin septembre, elle se décida à contacter l’armée, la Croix-Rouge et tous les organismes susceptibles de lui communiquer des renseignements. Elle ne reçut que des missives contradictoires et des encouragements à patienter. Une année interminable s’écoula remplie d’inquiétude, de questions et puis peu à peu de désespoir. Un jour, elle fut enfin convoquée à la mairie. Le cœur battant, tenant ses deux enfants par la main, elle effectua à pied les quatre kilomètres qui la séparaient du village de Budelière. Un officier d’état-civil lui annonça sans ménagement que son mari était décédé le 14 août 1914 et lui tendit l’acte de décès. Le mince espoir auquel elle se raccrochait s’effondra définitivement. La mort de son époux était devenue officielle. Mon Dieu ! qu’elle avait espéré qu’il ne fût que blessé, inconscient, amnésique. Elle avait même prié pour qu’il fût amputé, aveugle, défiguré… Il était mort depuis longtemps, depuis les premiers jours de la guerre. Elle regarda ses deux petits qui ne comprenaient pas bien les larmes de leur maman, puis reprit à pas pesants le chemin de la mine. Une fois dans sa maison, elle envoya jouer les
enfants dans la cour puis s’écroula dans sa chambre. Un peu calmée, la belle épouse du sergent valeureux troqua son corsage blanc contre une vilaine robe noire. Elle était devenue veuve de guerre.
Le directeur de la mine lui annonça le lendemain qu’elle n’était plus légitime à la cité minière et qu’elle devait quitter le logement sous un mois. Cette dernière année avait englouti toutes les économies du ménage, sans ressources et sans maison qu’allaient ils devenir tous les trois ?
On lui apprit que ses enfants étaient devenus des pupilles de la nation et qu’elle bénéficierait d'une pension. En attendant la régularisation de la situation et les subsides de l’état, elle décida de rentrer à Montmarault dans son village natal. La famille les hébergerait un temps.
À Montmarault, elle trouva à s’employer chez des particuliers pour faire des ménages et des lessives. Elle loua par la suite une toute petite maison où elle s’installa avec les enfants. La journée, elle travaillait jusqu’à l’épuisement. Le soir, elle s’occupait de la cuisine et des enfants et leur souriait sans cesse en leur parlant de leur papa. Le dimanche, elle lavait, reprisait, tricotait et s’éreintait dans le jardinet. La nuit venue, elle laissait couler son chagrin dans son grand lit vide. Le corps de Jean-Louis ne fut jamais retrouvé, c’était dur de n’avoir aucune sépulture pour se recueillir. Ainsi, de temps en temps, elle déposait un bouquet de fleurs au pied du calvaire.
En 1920, on invita Marie-Augustine à l’inauguration du monument aux morts dans ce village de la Creuse où ils furent si heureux. Elle ne put s’y rendre, mais fut soulagée que le nom de son époux fût enfin gravé quelque part.
Peu à peu, le chagrin s’estompa et Marie-Augustine recouvra une sorte d’équilibre et de sérénité. Marie-Thérèse, très bonne élève, obtint le Brevet Supérieur, tandis qu’André à douze ans entrait en apprentissage chez un menuisier. Mais peu après, en soulevant une lourde planche, le jeune garçon se rompit la colonne vertébrale. Transporté d’urgence à l’hôpital de Montluçon, on lui diagnostiqua un mal de Pot, une sorte de tuberculose osseuse grave. Dans ce nouveau malheur, c’est son statut de pupille de la nation qui lui permit d’être pris en charge pour les longs soins onéreux. Sa santé stabilisée, il bénéficia pendant sept années de séjours de convalescence en bord de mer. À cette époque, il était bien rare de sortir ainsi de son village. Tous ces séjours lui permirent de s’instruire, de rencontrer toutes sortes de personnes, de s’ouvrir l’esprit et de reprendre des études. À vingt ans, concours en poche, il entra au
Trésor public et gravit les échelons de cette administration. Sa grande sœur, quant à elle, était devenue infirmière et assistante sociale et aidait les plus démunis.
Les jeunes gens restèrent marqués leur vie durant par ce décès précoce et brutal de leur papa.
Mais le courage et l’abnégation de leur maman leur montrèrent l’exemple et les poussèrent à aller vers autrui.
De cette histoire de la guerre et de l’amour découlèrent de belles valeurs. Elles se sont transmises de génération en génération et nous sont parvenues, à nous arrières petits-enfants.
Nous les avons transmises à notre tour à nos enfants.
Cette histoire courageuse de mon arrière-grand-mère m’a également montré la route et m’a apporté beaucoup d’espoir lorsqu’à mon tour, je suis devenue veuve.
Les épreuves font partie de la vie, nul n’y échappe. Lorsque les temps sont durs, gardons foi en cette espérance que rien n’est jamais figé. Le temps et le courage transforment toujours le plomb en or.
Fin
Publié le 6 Novembre 2018
Le condamné à perpétuité fut déporté en Guyane.
Il n’avait rien à perdre,
Il s’évada au péril de sa vie mais il fut repris.
Au tribunal spécial il fut sévèrement jugé,
Il faut dire qu’il avait tué
Pour s’échapper du pénitencier.
Il embarqua pour St Joseph
Les pieds et les mains entravés.
Sur la jetée, il regarda la mer,
Emplit ses poumons d’effluves salées.
Et puis il traîna ses chaines
Sur le chemin pavé en direction de la réclusion.
La lourde porte d’acier
Se referma en grinçant sur la noirceur de sa destinée.
La cellule cannibale n’en fit qu’une bouchée,
Elle mettra du temps à le digérer vivant.
Le plafond était une cage et lui un fauve dans la fosse.
Sur une passerelle un porte-clés le guettait sans répit.
Chaque jour dans la pénombre,
Ses yeux s’entrouvraient sur son courage sombre.
Affolé de tant de demains terrifiants,
Grelottant la nuit, étouffant le jour, il souffrait.
Interdiction de s’allonger dans la journée, le bas flanc était relevé.
Interdiction de fumer,
Interdiction de lire,
Interdiction d’écrire,
Interdiction de parler.
SILENCE ABSOLU EN CES LIEUX
Il vivait au rythme de son souffle rapide.
Pour ne pas mourir, il tournait en rond, ses bras maigres ballants.
Sa seule liberté était sa pensée où il faisait défiler des images colorées.
Peu à peu son cerveau vacilla, Il devint fou à lier.
Et lui aussi criait comme les autres aliénés.
Il avait perdu toute dignité.
Il allait à la tinette, les gardiens au-dessus de sa tête,
Sortait la tête par le guichet, il n’était plus que poils à raser.
Sous nutri de bouillon infâme,
Il se jetait sur son rata par la trappe.
Il perdit ses dents, pauvre hâve pantelant.
Squelette scorbutique, le vide avait fini par gagner son âme.
Les années passèrent sans regards, il devint hagard.
Était-il encore humain dans la loque de son corps éteint ?
La mort un jour annonça son pronostic, après cinq années de cauchemar,
Il était temps de s’évader pour l’éternité.
La chaloupe des trépassés s’éloigna du rivage,
Entre St Joseph et Royale son cadavre glissa dans les vagues.
Comme chaque soir la cloche de l’angélus
Appela les requins à faire ripailles.
Sa dépouille démantelée sombra alors dans l’onde tropicale.
Au crépuscule, la lune pleine s’éleva
Quand enfin libre, il largua les amarres.
Publié le 6 Septembre 2018
Un bruissement d’abord imperceptible s’amplifia au fil des minutes, se transformant en conversations à voix basse puis en rires et enfin en galopades dans le couloir. La sieste était terminée et les fillettes s’animaient après une heure et demie de silence forcé.
Babeth demanda aux filles d’enfiler leur maillot de bain et de préparer leur sac de plage avec une serviette et une culotte de rechange puis elle les fit aligner deux par deux sous la galerie du dortoir, vérifia que les chapeaux étaient bien sur les têtes et jeta un œil au bâtiment opposé.
De l’autre côté de la cour le même rituel s’effectuait pour le groupe des garçons, les chenapans beaucoup moins disciplinés que les filles avaient profité que leur moniteur s’absente quelques minutes pour se disperser autour du dortoir. Lorsque Christian revint avec la grande boite en plastique contenant le goûter, il dut donner un coup de sifflet pour rassembler ses ouailles puis il prit sa grosse voix pour demander à Patrick de se tenir tranquille, à Sylvain d’enfiler sa casquette et à Alain de lacer ses baskets.
Cinq minutes plus tard, enfin prêts, les garçons traversèrent la cour en faisant les fous pour rejoindre les filles qui gloussaient de plus belle à l’approche de leurs camarades.
« Patrick est trop beau »
« Oui mais Philippe est plus gentil »
« Moi j’aime mieux Eric »
Babeth sourit aux commentaires de ses filles et fit un clin d’œil à Christian pour qui elle en pinçait un peu elle aussi. Elle confia la mallette à pharmacie à une grande fille dégourdie et les garçons se chargèrent du filet du périmètre et de la cantine du goûter.
Les moniteurs comptèrent et recomptèrent les enfants, ils étaient seize mômes de 10 à 11 ans, halés, dévorés de moustiques, égratignés aux genoux et trépignants de cette baignade quotidienne.
Christian prit la tête du cortège tandis que Babeth fermait la marche et la troupe s’ébranla enfin vers le fond de la colo en faisant crisser les aiguilles de pin sous les sandales. Elle franchit le portail du parc et traversa la route pour rejoindre un petit chemin qui serpentait sous la pinède. Ça sentait bon la sève chaude et il flottait dans l’air comme une douce torpeur d’été qui rendit soudain les enfants très calmes. Mais Babeth ne leur laissa pas de répit, elle réveilla l’ambiance en entonnant le chant appris le matin. TIENT BON LA BARRE ET TIENT BON LE VENT, HISSEZ HAUT SANTI AANO, SI DIEU VEUT TOUJOURS DROIT DE E VANT, NOUS IRONS JUSQU’A SANFRANSISCO.
La colo ne passait pas inaperçue dans le quartier et les vacanciers souriaient en croisant le groupe qui s’égosillait de plus belle à l’approche de la dune. Les enfants traversèrent le petit bois Henri IV et longèrent une rangée de baraques aux effluves sucrées qui les fit saliver. Certains se déchaussèrent pour grimper la dune ; trois filles à la traine se plaignirent que la montée était trop dure, Christian les encouragea, leur fit se donner la main, attrapa le bout de la chaîne pour remorquer les fillettes. Il furent bientôt tous au sommet et comme chaque jour ils marquèrent un arrêt, saisis par le vent marin et les effluves iodées. Que c’était beau ce ciel azur qui plongeait dans la grande bleue et cette immense plage de la Couarde piquetée de parasols multicolores.
Enivrés de vent salé, les enfants se dirigèrent à leur place habituelle le long de la dune et ils installèrent le camp en étalant les serviettes puis se mirent en maillot de bain et attendirent les consignes.
Raymond le directeur venait de les rejoindre, il aida Christian à installer le périmètre sous les yeux impatients des enfants. Ils auraient voulu courir mais les moniteurs veillaient au grain et c’est donc calmement qu’ils se dirigèrent au bord de l’eau pour se mouiller le corps et la nuque et entrer progressivement dans l’eau. Une fois bien mouillés, ils purent enfin s’ébattre, sauter par-dessus les vagues et profitez de ce bain de mer qu’ils aimaient tant. Didier le surveillant de baignade, un sifflet à la bouche gardait l’œil partout et Babeth et Christian étaient dans l’eau avec les enfants tandis que Raymond gardait le fond du périmètre. La baignade ne durait pas plus de 25mn pour laisser la place aux autres groupes qui se succédaient toute l ’après-midi.
Trois coups de sifflets retentirent soudain.
« Déjà se plaignit Sophie, c’était trop court. »
« Allez allez, tout le monde sort » entonna Babeth
Les enfants se jetèrent une dernière fois dans l’écume puis regagnèrent en courant leur coin de serviettes. Les uns se séchèrent un peu, tandis que d’autres ruisselants d’eau se jetèrent dans le sable chaud et que quelques coquettes s’allongèrent pour un bain de soleil.
Un peu plus tard, les jeux de plage allaient bon train : creusement de trous à remplir d’eau de mer, jeu d’osselets avec des cailloux, recouvrement de sable du copain, papotages. Lorsque la mer s’éloignait découvrant une bande de sable humide, les moniteurs organisaient un ballon prisonnier, un concours de châteaux de sable ou un relai.
A l’heure du quatre heures, les moniteurs les faisaient s’asseoir en cercle et l’on ouvrait la grande caisse. Chacun recevait un morceau de pain et une pâte de fruit, une barre de chocolat ou une vache qui rit et l’on se passait les verres pour boire le sirop de grenadine ou de menthe.
Vers 17H00, il fut temps de se changer. Les enfants se contorsionnèrent sous leur serviette pour enfiler un slip sec, les filles plus organisées se tenaient les sorties de bain. Les enfants pleins de sable ou rouges écrevisses reprirent le chemin du retour en passant par le petit bois.
Puis c’était l’heure de la douche dans un bâtiment sous les pins, d’abord les garçons puis le groupe des filles. Une fois propres et secs, les moniteurs menaient les enfants à la lingerie où chacun récupérait sa pile de linge marqué à son nom.
L’heure du diner approchait, la colo se rejoignait au centre de la cour de sable pour une chandelle géante puis chaque groupe à tour de rôle passait se laver les mains et entrait joyeux au réfectoire, affamés de leur journée bien remplie.
Bon appétit les enfants.
Publié le 8 Mai 2018
Publié le 24 Avril 2018
C’était pendant une récréation du mois juin, les jeux allaient bon train, je sautais à cloche pied dans la marelle quand subitement, je me mis à fanfaronner qu’à la prochaine rentrée, je ferais mon CM2 chez les frères.
Les cris cessèrent immédiatement et les autres fillettes
me regardèrent éberluées
- "T’as pas peur, lança la plus dégourdie après une longue minute de silence.
- De quoi j’aurais peur répondisje en haussant les épaules ?
- Bin, t’es pas au courant, là bas on coupe les oreilles des enfants pas sages, ma vieille."
J’en restais bouchée bée, en réalité je n’étais pas vraiment ravie de quitter ma petite école de campagne et mes copines et si je me vantais un peu c’était pour me donner une contenance, pour me persuader que cette institution où l’on m’envoyait était du tonnerre mais en réalité, j’avais la pétoche.
Deux mois plus tard accrochée à la main de notre maman, mon petit frère et moi pénétrâmes dans l’école au nom prometteur.
En ce jour de rentrée, le grand portail vert était ouvert à deux battants dévoilant l’immense rond de fleurs aux allées soigneusement ratissées. Je ne pouvais détacher mes yeux des innombrables traits de râteaux tracés dans le sable blond ; je n’avais jamais vu un tel parterre multicolore avec un petit moulin au milieu et des nains de jardin sur la pelouse. A l’arrière-plan à l’ombre d’un vieux cèdre, il y avait un grand bâtiment de pierre, flanqué d’un large escalier.
C’était majestueux !
Maman me tira de ma contemplation en m’entraînant sur le chemin de terre battue qui contournait le massif; des chèvrefeuilles formaient une voûte odorante et des noisettes étaient répandues sur le sol mais nous n’eûmes pas le temps de nous attarder car l’heure de la rentrée approchait. Nous pénétrâmes peu après dans une cour bétonnée dans laquelle s’élevait un petit château. Mes yeux s’écarquillèrent de surprise et je fus soudain bien intimidée lorsque je compris que ma salle de classe se trouvait là.
Ma nouvelle maîtresse était une vieille demoiselle revêche qui nous fit ranger sur deux lignes pour faire l’appel, elle regarda un instant par-dessus ses lunettes et repéra d’un seul coup d’œil, les trois pauvres égarés qui intégraient les rangs.
Elle était drôle cette nouvelle école, je m’en aperçus assez rapidement quand à la récréation, je vis la classe de 9ème, celle de mon petit frère, qui tournait en rond dans la cour. Ceci m’impressionna d’autant plus que la maîtresse nous mit en garde.
- "Voilà ce qui vous attend si vous n’apprenez pas vos leçons ou si vous chahutez » lança-elle narquoise"
J’avais franchement de la peine de voir mon petit frère, mains dans le dos, tête baissée qui marchait penaud derrière ses petits camarades, on aurait dit un prisonnier. Je me rappelais avec nostalgie la cour de ma petite école, les cris de joie, les rondes, les courses folles et les grillons que nous dénichions dans l’herbe.
Et je me sentis enfermée
Chaque matin, un frère nous dispensait le catéchisme, nous enseignait la vie des saints et nous parlait des missions à Madagascar. Il nous montra ce pays sur une grande carte accrochée au mur. Il nous fit voir des photographies d’enfants noirs avec un gros ventre et nous dit qu’ils mourraient de faim. A ce titre un tronc circulait chaque semaine pour y déposer notre obligatoire obole sous le regard aiguisé des adultes et les œillades des autres enfants qui se haussaient sur la pointe des pieds pour voir le montant des générosités.
En entrant dans cette école privée, la messe elle aussi devint incontournable, chaque lundi, la maîtresse nous interrogeait pour vérifier notre présence l’office, ceux qui n’avaient pas participé recevaient une semonce publique où toutes les raisons étaient balayées. En petite fille obéissante et surtout craintive des conséquences, je me conformais chaque dimanche aux instructions de mes maîtres, persuadée que j’irais en enfer si je n’effectuais pas mon devoir dominical.
L’entrée en 6ème renforça encore la discipline, le professeur d’histoire-géo me prit d’emblée en grippe en ayant sans cesse quelque chose à me reprocher, j’avais beau m’appliquer, mes cahiers n’étaient jamais tenus à son goût.
Un samedi, j’occupais mon après midi de congés à réaliser une carte du monde, à la décalquer, à repasser les traits, à colorier, à inscrire les villes, les mers, les légendes. Ma carte était magnifique, j’étais d’autant plus fière de moi que j’avais reçu les compliments de mes parents pour ce travail appliqué. Le lundi, c’est donc en toute confiance et avec un grand sourire que je présentais mon travail à mon professeur mais celui ci la regarda à peine et sortit son stylo rouge pour barbouiller de sa pointe acérée ma jolie carte de géographie. Les larmes me coulèrent des yeux, de rage et d’incompréhension. Le professeur prétendit que cette carte n’était pas dessinée dans le bon sens et que je n’avais pas écouté les instructions, je reçus un zéro et une injonction de la refaire pour le lendemain. A 11 ans, je vécu cette sanction comme une grave iniquité et je me mis à pleurer de plus belle sans que cela n'amadoue le tyran.
Ma belle carte et mon énergie furent définitivement souillées
de l’autorité malsaine de cet enseignant
Je refis ma carte sur un bout de papier, à la verticale comme il le fallait, plus petite, minimaliste, sans envie, sans plaisir, une carte moche comme mon humeur qui se ternissait de plus en plus au fil des semaines et je la collais en colère sur l’autre, la belle.
S’il nous manquait des fournitures scolaires, on nous incitait à nous rendre à la petite boutique de l’école afin de contribuer aux bonnes œuvres de notre institution. D’ailleurs, il était également de bon ton, outre le règlement de la demi-pension, d’être généreux avec les religieux en apportant des dons en argent, vêtements ou victuailles. Ma famille n’adhérant pas franchement à ce système fut aussitôt identifiée et nous autres les enfants un peu plus stigmatisés.
La 6ème marqua également la fin de la récréation d’après déjeuner au profit du sport intensif, une heure durant, chaque jour nous enchaînions les paniers, les courses autour du stade, les tirs par-dessus le filet, coachés par des élèves de troisième qui singeaient à merveille l’autoritarisme des professeurs. J’étais assez douée pour jouer au basket où du moins j’étais déjà grande pour mon âge et l’on m’intégra à l’équipe de l’union sportive de l’école où chaque mercredi nous disputions des tournois.
L’année de 5ème marqua le commencement de ma dégringolade scolaire avec des cours ubuesques. Un jeune frère qu’on avait du désigner d’office comme professeur d’anglais mettait en boucle une cassette sur un magnétophone, il avait institué un système de punition où à chaque mauvaise réponse il fallait lever un bras, puis l’autre, puis une jambe. C’est comme ça qu’un jour, un copain de classe se coucha au sol en protestation de cette pédagogie grotesque. Ce frère-là avait le béguin pour la prof de Maths, ils entretenaient des relations qui n’étaient pas que platoniques. Mon esprit en construction s’affolait de ces contradictions entre morale chrétienne enseignée par ces adultes et leur comportement affiché sous nos jeunes yeux.
Un jour en cours de sport, alors que nous courions depuis de longues minutes, je demandais au professeur de porter mes lunettes dans la classe car elles étaient recouvertes de buée. Elle me répondit moqueuse en faisant s’esclaffer les autres élèves que je n’avais qu’à installer des essuie-glaces. Rien de grave en apparence mais en réalité une petite brimade supplémentaire au sein d’un système dévalorisant.
La fillette délurée devint craintive et muette
Le moment que j’appréhendais chaque jour davantage était celui du repas. A midi- quinze, toutes les classes devaient être rangées devant le double escalier menant aux réfectoires. Nous nous tenions dans un silence complet, immobiles, scrutés du haut des marches par le corps enseignant qui nous toisait et dénichait invariablement les indisciplinés. Il n’était pas rare que le frère directeur donnât un coup de sifflet pour signaler un pauvre bougre qui écopait de vingt tours de cour au pas de course suivis de la mise au coin où il mangeait son repas debout.
A l’intérieur du réfectoire, assis aux tables qui nous étaient attribuées, les frères désignaient en début d’année, des chefs « carrés » comme à l’armée, des petits chefs à la solde des adultes avec pour mission de faire respecter les règles. Dans les consignes, il y avait l’injonction de remplir les assiettes de tout le monde y compris de ceux qui n’aimaient pas le plat ; les assiettes et les plats devaient revenir vides en cuisine. Les chefs de carrés, de grands gaillards de 3ème dont quelques pervers s’en donnaient à cœur joie de refiler aux petits la nourriture que personne n’aimait. Pour ma part, isolée au milieu de grands, j'avalais, le poisson, le boudin, le foie, les épinards et autres trucs me donnant la nausée comme on avale des médicaments, tout rond avec de grandes quantités d’eau et des hauts le cœur.
Ces règles carcérales nous firent mettre en route tout un système de mensonges et de dissimulation pour vider les plats sans pour autant avaler la nourriture infecte. A tour de rôle nous devions débarrasser les tables, j’appris sous l’exemple d’autres victimes, à écraser la nourriture exécrée entre les assiettes et à me dépêcher de porter ma pile à la plonge avant de me faire prendre. J’appris que je pouvais troquer mon dessert ou mes frites contre mon poisson pané, j’appris à dissimuler des bouchées dans mon mouchoir ou à les faire tomber sous la table.
Je ne travaillais plus, mes notes devinrent catastrophiques et l’on me taxa de nonchalante puis de fainéante et enfin l’année suivante on s’interrogea sur mes capacités.
Et plus l’on me secouait, plus je rentrais dans ma coquille
La seule échappatoire était le basket que je finis par aimer, sans doute parce que lui seul me valorisait et me défoulait. L’année de la 4ème, après une série de tournois gagnants, nous fûmes consacrées championnes départementales avec photo dans le journal et remise de diplômes, une petite lumière dans un océan d’injustices.
En 4ème, le foutoir s’installa définitivement et j’eus beau faire équipe avec mon voisin de table tout aussi déboussolé que moi-même, nos notes restèrent médiocres. Pendant la récréation, punis, nous étions consignés dans la classe pour recopier des lignes entières de verbes irréguliers ou de formules de maths ; par la fenêtre, il n’était pas rare d’apercevoir un petit garçon du cours préparatoire qui défilait honteux son cahier lié sur le dos sous les quolibets de la cour.
Un mercredi matin où une composition s’annonçait, je dus partir sur-le-champ avec mon équipe de basket pour un tournoi régional, une diversion qui venait à point nommée pour échapper au pensum. Sur deux bancs dans la camionnette, la bonne humeur régna tout le voyage et bien que nous ne soyons pas revenues gagnantes, cette aventure restera comme le souvenir le plus heureux de ces années passées chez les frères.
Peu après, je me cassais une jambe et cet accident sonna définitivement le glas de mon année scolaire. Mes parents prirent enfin conscience du désastre et me firent quitter l’école pour redoubler dans un autre établissement.
Ce n’est que des années plus tard que grâce à une analyse, je pus mesurer les traumatismes induits par ces années spéciales, elles furent en grande partie responsable du manque chronique confiance en moi, de phobies, d’anxiété et d’aversions alimentaires qui me poursuivent encore aujourd’hui.
Publié le 15 Novembre 2017
Flirt d’adolescents et puis un jour l'AMOUR
Belles jeunesses aux regards couleur de mer,
Vos envies se frôlent sans cesse.
Vous chahutez, vous découvrant d’aise
Dans un corps à corps juvénile
Qui vous fait basculer dans l’onde claire
Et puis émergez de joie, ruisselants d’eau de soleil.
Le soir venu, dans l’odeur de sève, il l’entraine.
Tenant sa main dans la sienne, il s’adosse au pin.
Faussement expert, contre lui la tient.
De ses doigts la cherche, jeux de préliminaires.
Heureuse prisonnière, elle dépose sa tête sur l’épaule dorée.
Blottie sans réserve, elle s’abandonne offerte.
Et puis troublé, le voilà paralysé, ne peut l’embrasser,
Juste l’enserrer de peur de la perdre.
Ses sens en éveil sont frustrés du reste, qu’il n’ose faire.
L’heure est passée, il est temps de rentrer.
Mais ne sont plus les mêmes,
Déjà liés de leurs inexpériences à satisfaire.
A la nuit tombée, inexorablement attirés,
Ils se rejoignent sur le foin coupé, musent sous le ciel étoilé,
Admirent la voie lactée, s'abreuvent d'été sauvage.
Il l’attire pour de vrai, enfoui sa bouche avide
Dans ses cheveux satinés par la lune pleine.
Leurs mains s’entrelacent, se déclarent,
Se scellent en unité.
Leurs bouches enfin se reconnaissent
Laissent leurs empreintes humides sur leurs lèvres
S’offrent leurs premiers je t’aime,
A jamais
Publié le 9 Novembre 2017
Publié le 28 Octobre 2017
Offre un geste gratuit qui n’a pas de prix
Un geste d’amour qui n’attend rien en retour
Un geste d’humilité qui dit non aux préjugés
Un geste sans défiance qui lutte contre l'indifférence
Un geste convaincu qui propose ta main tendue
Un geste pour guérir qui affiche ton sourire
Un geste qui rejoint qui rend service à ton voisin
Un geste rédempteur qui libère le cœur
Un geste de foi qui scintille de joies
Un geste qui respire sans y réfléchir
Offre un geste gratuit qui n’a pas de prix
Publié le 19 Octobre 2017
Bref coup de sonnette, déjà dans l'escalier,
Mémé ouvre ses bras, offre de doux baisers.
Un biscuit de Savoie sous la toile, caché
Répand dans la cuisine l'odeur du goûter.
Mémé sort le chaudron, les pots à cannelures
Les framboises s’apprêtent pour la confiture.
Mon minois barbouillé de l’écume sucrée
Sourit à belles dents de ce havre douillet.
Paisible, sur le radiateur, allongée,
Je lis un vieux Trillby quelque part déniché.
Mémé chante Riquita et range affairée,
La bassine de cuivre en haut du vieux buffet.
Sur le bord du bahut, les pots sont alignés,
Paraffine figée sur la pulpe d'été.
Une belle arabesque indiquera l'année,
Framboises du jardin d'un chaud mois de juillet.
Le labeur terminé, mémé prend une chaise,
Raconte les histoires d'hier et de la guerre
Sort de vieilles photos et un laisser-passer,
Étouffe un long sanglot de jeunesse fanée
Elle raconte, la naissance de ma mère,
Dans la ville exsangue, une trouée de lumière.
L’amour de ma grand-mère irradie tout mon être,
Trésor de sagesse, toute première pierre.
Le soleil a tiédi je joue sous le prunier
Le nez à la croisée, mémé dit "le voilà".
Mon grand-père s’extirpe de sa petite Simca .
Bref coup de sonnette, déjà dans l'escalier....